"Pour donner du sens à la transformation, il faut parler utilement et savoir se taire"

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Florentin Roche est docteur en philosophie, psychopraticien et coach certifié. Il nous invite à penser l’entreprise selon une cosmogonie, dans la tradition platonicienne. Dans cet entretien, Florentin voit la transformation des organisations comme une dialectique nécessaire, entre identité et différence. Explications.


Vous avez souhaité faire le lien entre le thème de "Transformation, agir et laisser faire" et celui de la parole et du silence, pourquoi ? Quelle analogie y voyez-vous ?

« Dites-le autour de vous », « on en parle, pour faire bouger les choses », « le changement, c’est maintenant », « abracadabra »... autant de formules incantatoires qui laissent croire que la transformation s’accompagne de paroles… Ce n'est pas aussi simple !

Comment expliquer cette croyance ?

J’avance une hypothèse, que je qualifierai de « platonicienne ». On pourra lui reprocher son intellectualisme, mais elle semble pourtant digne d’intérêt, dès lors qu’on veut penser et dire le changement. Je m’explique : par définition, la transformation d’un objet implique un changement de forme qui conserve les caractéristiques essentielles de cet objet : l’eau, à l’état solide ou à l’état gazeux, reste de l’eau. Il s’agit de la même eau, même si elle diffère sous certains aspects. C'est la même chose, pour ce visage que vous contemplez dans votre miroir tous les matins. Il reste le même visage, porteur du même nom, bien que s'y inscrivent chaque jour un peu plus, les marques des années. Il y a donc là, dans cette affaire de transformation, quelque chose qui regarde l’identité et la différence.

En quoi cela fait-il intervenir le langage ?

En fait, aux origines de notre pensée, qui cherche à comprendre ce qui l’entoure, l’invention du logos - parole et raison en grec ancien - répond au besoin de définir ce qu’est une chose, quoi qu’il en soit de ses conditions d’apparition et de son devenir (l’eau sous tous ces états, ce visage reconnaissable parmi tant d'autres). Ainsi, quand les choses ont été bel et bien définies, classées, ordonnées selon un tout, et identifiables pour ce qu’elles sont, il n’est plus nécessaire d’en parler. Il n’y a plus lieu de se disputer. Même le dialogue en bonne intelligence peut prendre fin. On s’accorde tacitement sur des conclusions jugées universelles. Par conséquent, on pourrait dire que l’identité est silencieuse, alors que la différence fait parler.

Est-ce toujours vrai ?

D’un point de vue historique et géographique, l’hypothèse précédente est valable au moins dans le monde occidental, à partir de l’invention de la philosophie. D’autres cultures ont pensé la chose en tant qu'elle est en train de changer. C'est en fait, une autre manière de répondre au paradoxe précédent : comment être une chose et ne plus être cette chose là parce qu’elle est déjà en train de devenir autre chose… À cet égard, on a pu parler de « transformations silencieuses » pour qualifier l’approche chinoise. Le « sage est silencieux » préconise Lao Tseu. Il contemple cette nature en circulation, sous forme d’énergie qu’il ne saurait enfermer dans un discours.

Mais alors que faites-vous des revendications identitaires ?

Précisément, ce sont des identités qui se cherchent et forcent la contradiction. Il s’agit d’instaurer un nouvel état d’équilibre en normalisant ce qui semblait différent, afin que ceci ne fasse plus débat.

Quels sont les impacts sur les transformations organisationnelles ?

On y observe le même mouvement. Auparavant, les cultures d’entreprise étaient identitaires mais silencieuses. De fait, le concept de « culture d’entreprise » n’existait même pas en tant que tel. Les choses se passaient donc selon un certain ordre établi et la libération de la parole semblait impliquer une création de désordre dans la structure. Désormais, les cultures d’entreprise se font bruyantes et affirment leur différence (pour preuve, le marketing RH, dans une démarche de séduction des talents). Rappelons ici la métaphore biologique : l’organisation est cet ensemble d’organes (de décision, d’exécution, etc.) qui forment un tout cohérent, un corps social identifiable en tant que tel. L’entreprise X est différente de toute autre entreprise. On peut la modifier localement, l’adapter à un nouveau terrain, elle se transforme globalement pour survivre tout en restant elle-même. Mettre en culture une organisation, c’est l’imaginer persistante parce qu’évolutive.

Qu’en retirez-vous ?

Une surprise un peu inquiète concernant la vitalité de nos organisations! Plus elles semblent revendiquer activement leur identité, plus on peut s’interroger sur la nature des caractéristiques (valeurs, modèles, etc.) qu’elles représentent comme essentielles. Certaines semblent plus cosmétiques que relevant de leur ADN.

Que conseillez-vous alors à l'entreprise qui doit se transformer ?

Un conseil de sagesse simplement millénaire! Il se situe, à la croisée de l’Occident et de l’Asie : parler de l’essentiel (définir ce sans quoi l’organisation cesserait d’être elle-même, ce qui l'identifie exactement) et savoir rester silencieux (laisser l’organisation advenir, opportunément et sous toutes ses formes).

Florentin Roche

Florentin est psychopraticien et coach certifié, NLP Master Trainer, formé en France et aux États-Unis. Il est titulaire d'un MBA et mène des recherches en philosophie appliquée et psycholinguistique. Il intervient en formation initiale et en formation continue, à l'international.

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